by R.GYSELEN
CNRS, France

L’une des raisons principales que l’étude du monnayage sassanide est encore dans un stade peu avancé par rapport à d’autres domaines numismatiques, est sans aucun doute la non-disponibilité d’une documentation photographique suffisante pour pouvoir procéder à des investigations pertinentes. Les publications qui ont fait connaître le monnayage sassanide, comme par exemple celles d’A. Mordtmann ou d’E. Drouin, sont peu illustrées. Une illustration plus riche est donnée par F. Paruck ou J. de Morgan qui ont mis en œuvre d’abord leur propre collection, et aussi celles des Cabinets des Médailles de Berlin, Londres, Paris, etc. Mais de ces dernières ne sont illustrées que quelques exemplaires. Dans ce choix, c’est la ”belle monnaie” qui a été privilégiée, celle qui fait la joie des collectionneurs, et les auteurs n’ont pas toujours cherché à mettre en évidence la variété stylistique du monnayage sassanide qui est pourtant bien présente dans la plupart de ces collections. Quoiqu’il en soit, les numismates contemporains continuent d’utiliser ces ouvrages à défaut de publications plus exhaustives.

Quand R. Göbl a commencé, dans les années 1950, à s’intéresser à la numismatique sassanide il a été confronté à cette lacune dans la documentation qui empêchait de faire évoluer la numismatique sassanide vers un niveau égal à celui atteint par la numismatique grecque ou romaine, et a été l’instigateur de plusieurs initiatives pour y remédier. On lui doit la mise en place d’un fichier à l’Institut de Numismatique de l’Université de Vienne (= numismatische Zentralkartei) dans lequel ont été intégrées les photographies et descriptions de très nombreuses monnaies. Elles font partie des grandes collections publiques déjà citées et de collections privées, principalement autrichiennes. On y trouve aussi beaucoup de monnaies publiées dans les catalogues de vente. Cette entreprise étant bien antérieure aux moyens modernes de communication électronique, on ne peut consulter ce fichier que sur place à Vienne. Évidemment, il ne comporte pas l’ensemble des monnaies de chaque collection publique. Matériellement un tel enregistrement photographique aurait exigé plus de forces humaines et de moyens qu’il était possible d’envisager. En outre, un tel inventaire exhaustif n’était probablement pas non plus l’objectif de R. Göbl qui cherchait surtout à disposer d’une grande variété de monnaies pour procéder ensuite à sa typologie du monnayage sassanide (Sasanian Numismatics, 1971 avec une version antérieure en allemand) qui sert encore aujourd’hui de référence à tout numismate occidental. Sans aucun doute, R. Göbl avait réfléchi à la nécessité de publier exhaustivement les collections. Il l’a montré en publiant les monnaies sassanides conservées au Cabinet des Médailles à la Haye, maintenant à Leyde (1962), initiative qui a été poursuivie, mais toujours pour des collections relativement modestes, par B. Kapossy (le musée historique de Berne, 1969-1970) et plus récemment par A. Nikitin (le musée des Beaux-Arts de Moscou, 1995).

On aurait pu espérer qu’un autre type de publication - celle de monnaies provenant des fouilles - apporterait une documentation photographique bien plus complète. C’est souvent le cas pour les trouvailles isolées, mais rarement pour les trésors monétaires d’une certaine ampleur. On peut reprocher aux auteurs d’avoir accepté une telle restriction dans le nombre des illustrations, mais il n’est souvent guère possible d’outrepasser les exigences des instances éditoriales. Leur attitude ne s’explique pas seulement par la volonté, ou la nécessité, d’économie, mais aussi par l’intérêt très mitigé que le monnayage sassanide suscite. Malgré la demande appuyée des auteurs, il est rare de se voir attribuer suffisamment d’espace pour pouvoir illustrer l’ensemble des monnaies qui sont décrites dans une publication. Il en résulte que d’autres numismates sont réduits à se contenter des données fournies par le texte. Cependant, celui-ci ne peut communiquer une image complète de la monnaie surtout parce qu’aucune typologie monétaire et stylistique suffisamment détaillée n’existe pour servir de tableau de références. On se trouve ainsi dans un système de cercle vicieux : sans documentation photographique importante il est impossible d’établir une typologie stylistique, et sans cette dernière il est impossible de décrire une monnaie de façon suffisamment précise pour qu’elle puisse servir à d’autres études. C’est sans aucun doute la raison pour laquelle certains types d’études, comme celles de l’identification des ateliers monétaires de l’époque sassanide tardive, ou de la métrologie monétaire, ont été plus prépondérantes que d’autres.

Jusqu’à présent, la documentation la plus riche se trouve souvent dans des contributions qui traitent d’un problème spécifique. L’exemple par excellence est le monnayage de Shapur II traité par R. Göbl dans le cadre du monnayage kouchan, ou encore l’identification des ateliers monétaires abordée par M. Mochiri dans plusieurs ouvrages et articles. Le dernier a puisé dans sa riche collection personnelle, tandis que le premier a mis en œuvre le fichier numismatique de Vienne. Pour un jeune numismate qui ne dispose ni de l’un ni de l’autre, il n’est pas aisé d’aborder le monnayage sassanide et de produire de nouvelles études pourtant indispensables à l’avancement des connaissances de la numismatique sassanide et de sa place dans l’histoire de l’empire sassanide.

Pour sortir de cette impasse, le seul moyen est la publication intégrale des grandes collections publiques et privées dans laquelle chaque monnaie serait illustrée. Depuis la fin des années 1980, Raoul Curiel avait suggéré de produire une telle ”sylloge” des monnaies sassanides dans les collections du Cabinet des Médailles de Paris. Un concours de circonstances a entravé cette initiative. En 1994, une nouvelle impulsion, cette fois-ci sur un niveau européen, a connu un peu plus de réceptivité et a abouti au projet de la ”Sylloge Nummorum Sasanidorum” dont l’objectif est de publier les collections des Cabinets des Médailles de Berlin, Bruxelles, Paris et Vienne. Toutefois, il a semblé indispensable de joindre à la ”sylloge” proprement dite, une étude stylistique du monnayage sassanide, sujet qui, à l’exception d’une ébauche restreinte par I. Pfeiler, n’a pas été traité auparavant et qui représente une des bases indispensables pour des études numismatiques ultérieures. Née avant l’accès facile aux réseaux électroniques, ce travail sera publié sous la forme traditionnelle d’un ouvrage.

Depuis quelques années, des initiatives de plus en plus nombreuses ont vu le jour pour mettre à la disposition des numismates des séries monétaires sur un support électronique. Jusqu’à présent aucune collection n’a été intégralement rendue publique de cette façon et le catalogue de Vlastimil P. Novak et J. Militky est le premier qui traite d’un ensemble bien circonscrit. L’idée de réunir dans un même catalogue toutes les monnaies sassanides conservées dans les collections publiques et privées tchèques ne peut que recevoir un accueil favorable. Sans le travail d’investigation d’un numismate résidant sur place, il est certain que bon nombre de ces monnaies n’auraient jamais été connues par les numismates. Le fait de présenter un catalogue sur support électronique à consulter sur Internet, ne change rien à l’exigence scientifique de la contribution. Comme pour une publication traditionnelle, l’important est la qualité de l’image, l’exactitude de la description, la richesse des données et la présence d’index. Tous ces aspects ont été respectés dans le catalogue électronique que V. P. Novak et J. Militky présentent des monnaies sassanides conservées en Tchéquie. On ne peut que se réjouir de disposer désormais pour la numismatique sassanide d’un ensemble documentaire peu connu et qui le serait resté sans la persévérance de nos collègues numismates tchèques.


 

© NATIONAL MUSEUM, PRAGUE 2000
With financial support of the Czech National Grant Agency (GA CR)
Database Processing & Design & Code © ACON s.r.o. 2000